Aliments phares : les piliers du goût et de la subsistance
Manioc : la racine-mère
Impossible d’ignorer la place du manioc (kasabe pour les Taïnos). Cette racine nourricière, légèrement fibreuse, s’impose comme le réel pilier de l’alimentation. Riche en amidon et pauvre en sucres, elle offre à la fois satiété et polyvalence. Son amertume tenace, due à des substances toxiques (linamarine), impose des gestes précis : râpage, lavage, pressurage dans la fameuse couleuvre (ou « couliwara », longue natte tressée localement en fibre de balisier ou de roseau). Rien n’est laissé au hasard. Les Taïnos transforment le manioc en galettes sèches, les fameuses « cassaves », capables de se conserver longtemps. Les Kalinagos, quant à eux, exploitent aussi le jus fermenté en cassiri, une boisson légèrement alcoolisée aux notes surettes, idéale pour les fêtes ou le réconfort des jours de pluie.
| Aliment |
Préparation principale |
Utilisation |
| Manioc |
Râpé, pressé, cuit en galette |
Base de cassave, boisson fermentée |
| Maïs |
Bouilli, broyé, grillé |
Galettes, atoles, soupes |
| Patate douce |
Bouillie, rôtie, en purée |
Accompagnement, ingrédient sucré |
| Igname |
Bouillie, rôtie |
Source d’amidon |
| Pois du Congo |
Bouillis, ragoûts |
Protéine végétale |
| Poissons et crustacés |
Grillés au boucan, en bouillon |
Protéines animales |
| Viandes de gibier (agouti, iguane…) |
Fumées, séchées, en sauces simples |
Chasse |
| Fruits tropicaux (goyave, ananas, corossol…) |
Consommés crus ou séchés |
Desserts spontanés, collations |
Maïs : l’or jaune venu d’ailleurs
Certains croient que le maïs fut introduit par les colons : erreur commune. Les Taïnos cultivaient déjà cette graminée dans des conucos (champs surélevés pour aérer et drainer le sol). On imagine bien la main tendre raclant les grains, puis les broyant sur des pierres planes pour les transformer en atole ou galettes épaisses, très proches de certaines variantes mexicaines. Il n’est pas rare encore aujourd’hui, dans les arrière-pays des îles, de découvrir un maïs bouilli, simplement salé, goût prononcé de terre chaude et légèrement sucré.
Légumes racines et tubercules : diversité et résistance
À côté du manioc, s’épanouissent patate douce, igname, taro (dachine), et même certaines espèces de pommes de terre indigènes. Ces tubercules, parfois confondus, offrent différents profils : la patate douce, sucrée et fondante, l’igname, blanche, au grain épais, et le taro, plus mucilagineux, souvent utilisé dans des bouillons réconfortants ou pour épaissir la soupe. Chacun repose sur des gestes de préparation hérités : les mains expertes alternant coupage précis et cuisson lente, à l’étouffée ou à la braise, qui magnifient les textures.
L’autre pilier : l’apport en protéines
- Poissons, crustacés, coquillages : Les Kalinagos, peuple marin, élèvent le boucanage (fumage) comme un art de vivre. Les pêches côtières abondent en lambis, ouassous, turbos, dorades coryphènes… Les gestes sont précis : poissons ouverts en portefeuille, salés, puis fumés sur des grilles de branchages.
- Chasse : iguane (morocoy), agouti, oiseaux, parfois rongeurs ou tortues marines, selon les périodes. Ces viandes maigres sont souvent grillées entières, découpées à la machette et offertes en partage.
Une anecdote relevée par l’archéologue Samuel M. Wilson (University of Florida Press) : la consommation de gros animaux était toujours ritualisée. On mangeait rarement un iguane seul. La notion de partage, de cercle autour du feu, y était omniprésente.
Les légumineuses, un soutien discret
Contrairement à une idée reçue, les légumineuses existaient déjà sous forme de pois du Congo (pois d’Angole, bien antérieur à son nom colonial), haricots noirs et parfois arachides. Ces grains, bouillis ou cuits en purée, constituent une source précieuse de protéines végétales, qui complète à merveille un plat de manioc.
Fruits : la générosité insulaire
- Ananas (selon la méthode du « gwan-nanan », découpage en spirale puis dégustation en quartiers avec les doigts tachés de sucre),
- Goyave, corossol, sapotille, prune de Cythère, et amandes sauvages : croqués frais, séchés, parfois fermentés pour des douceurs peu connues.
Ces fruits concluaient rarement le repas : ils se picoraient à tout moment, lors des chasses, pêches ou ramassages collectifs, autant source de fraîcheur que de réhydratation naturelle.